Point en jurisprudence visant l’Avocat : de son devoir de mise en garde et de la violence économique

Publié le - Mise à jour le

Voir toutes les actualités

Par deux arrêts, la Cour de cassation a apporté des précisions intéressantes concernant l’application du droit des obligations à l’avocat :

 

I - A propos de l’arrêt Cass. 1re civ., 10 nov. 2021, n° 20-12.235 : du devoir de conseil et de mise en garde de l’avocat envers son client

 

A. Les faits

Des personnes avaient acheté les parts sociales d’une société qui exploitait un café sur un port, en vertu d’un contrat de concession délivré la commune.

Trois ans après la cession, la commune estimait que la société occupait le terrain sans droit ni titre et obtenait son expulsion ainsi que l’enlèvement des installations.

Les acquéreurs se retournent contre l’avocat qui avait rédigé le contrat, en lui reprochant de ne pas les avoir alertés sur le caractère précaire de l’occupation. 

L’avocat plaidait que le contrat contenait toutes les informations sur le titre d’occupation, de sorte que les acquéreurs étaient nécessairement informés de la précarité de l’occupation. En quelque sorte, il faisait valoir que la stipulation d’une clause claire suffisait et qu’il n’était pas nécessaire qu’il attire spécialement l’attention des acquéreurs sur la situation.

 

B. La réponse de la Cour de cassation

La Cour de cassation juge :

« l’avocat rédacteur d'acte est tenu à l’égard de toutes les parties, quelles que soient leurs compétences personnelles, d’une obligation de conseil et, le cas échéant, de mise en garde en ce qui concerne, notamment, les effets et les risques des stipulations convenues et que l’existence d’une clause claire dans l’acte ne le dispense pas de les informer sur les conséquences qui s’y attachent ».

 

C. Les enseignements de l’arrêt

  • Trois enseignements ressortent de la décision de la Cour de cassation du 10 novembre 2021:  

    1. le devoir d’information joue à l’égard de toutes les parties (vendeur et acheteur), quelles que soient leurs compétences respectives. Le fait de recourir aux services d’un professionnel confère aux parties une sorte de virginité de compétence. Le rédacteur doit les considérer l’une et l’autre profanes.
    2. le devoir d’information se décompose en obligation de conseil et « le cas échéant », en obligation de mise en garde. La nuance paraîtra subtile, mais on en comprend les ressorts : chaque fois que le contrat exposera un contractant à un risque particulier, le professionnel devra attirer l’attention du contractant sur ce point.
    3. le devoir d’information est dû aux contractants même si le risque ou le danger résulte clairement des clauses stipulées. La solution peut sembler excessive : peut-on vraiment imaginer, au cas d’espèce, que les acquéreurs n’étaient pas conscients de la précarité des droits d’occupation ? N’y -a-t-il pas là, pour eux, un moyen de faire supporter au rédacteur d’acte les risques qu’ils avaient pris en pleine conscience ?

 

II. A propos de l’arrêt Cass. civ. 2ème, 9 décembre 2021, n°20-10096 : de la violence économique subies par l’avocat de son client

La notion de violence Avait été appliquée en matière de sauvetage du sauvetage maritime et dans le cadre de la vente des immeubles juifs en 1942.

Elle a été développée également en droit de la concurrence et de la consommation

En droit commun, l’arrêt du 3 avril 2002 (pourvoi n° 00-12.932) a jugé que:

 « l'exploitation abusive d'une situation de dépendance économique, faite pour tirer profit de la crainte d'un mal menaçant directement les intérêts légitimes de la personne, peut vicier de violence son consentement »

L’article 1143 du Code Civil, modifié par la loi n°2018-287 du 20 avril 2018 de ratification de l’ordonnance n°2016-131 du 10 février 2016 réformant le droit des contrats, dispose désormais :

         « il y a également violence lorsqu’une partie, abusant de l’état de dépendance dans lequel se trouve son cocontractant à son égard obtient de lui un engagement qu’il n’aurait pas souscrit en l’absence d’une telle contrainte et en tire un avantage manifestement excessif ».

Le texte et sa mise en œuvre soulevaient des interrogations auxquelles l’arrêt du 9 décembre 2021 donne des éléments de réponse.

 

A. Les faits :

L’AGS confie à un avocat la défense de ses intérêts dans une série de 935 dossiers relatifs à des salariés dans le cadre de la procédure ouverte contre une association.

En appel, l’avocat ne conserve que 795 dossiers et la rémunération est fixée aux termes d’un échange de mail (sans conclusion d’une convention d’honoraires).

L’avocat est dessaisi en cours de procédure. Il plaide la nullité de la convention d’honoraires pour violence économique et demande un complément d’honoraires pour ses diligences.

Le bâtonnier et la Cour d’Appel annulent la convention et fixent à 350.000 euros la rémunération.

L’AGS forme un pourvoi et soutient (1) que l’indépendance de l’avocat exclut toute dépendance économique et que (2) il n’y a pas eu de violence économique.

 

B. La réponse de la Cour de cassation

Sur la possibilité de violence économique pour une profession indépendante, la Cour de cassation juge :

« S'il résulte des textes…  que l’avocat doit, en particulier, veiller à préserver son indépendance, ces dispositions ne sauraient priver l'avocat, qui se trouve dans une situation de dépendance économique vis-à-vis de son client, du droit, dont dispose tout contractant, d'invoquer un consentement vicié par la violence, et de se prévaloir ainsi de la nullité de l'accord d'honoraires conclu avec ce client ».

Sur la caractérisation de la violence, elle tranche comme suit :

« C'est donc sans encourir le grief du moyen que l'arrêt, ayant caractérisé l'état de dépendance économique dans lequel l'avocat se trouvait à l'égard de l'AGS, ainsi que l'avantage excessif que cette dernière en avait tiré, en déduit que cette situation de contrainte était constitutive d'un vice du consentement au sens de l'article 1111 ancien du code civil ».

 

C. Les enseignements de l’arrêt

L’état de dépendance économique de l’avocat est mis en avant, ce qui soulève la question ci-après : en pratique, les clients institutionnels devront-ils solliciter de leurs avocats des déclarations annuelles de la part qu’ils représentent dans le CA du professionnel ?

La Cour de cassation utilise la notion d’avantage excessif caractérisant l’influence du nouvel article 1143, mais aucune référence au « manifestement » excessif.

En l’espèce, les honoraires avaient été fixés à 90 000 € (soit 113 euros/dossiers). L’excès résulte du fait que le montant était 2,5 moins élevé que le montant en première instance.

 

Auteur : Géraldine Lamoril, Responsable Formation Lefebvre-Dalloz, Docteur en droit

Formations qui pourraient vous intéresser

tealium